Aller au contenu principal

APPEL A CONTRIBUTION DIALECTIQUE DES INTELLIGENCES N°7

Dossier : «1990-2020 : 30 ANS DE PLURALISME POLITIQUE OU DE DEMOCRATIE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE ? », n° 07

Premier semestre 2020

 

Argumentaire

La thématique de la démocratie en Afrique subsaharienne, mieux de la nécessité d’une démocratisation du continent, constitue, sans doute, un des sujets les plus prisés par les chercheurs africanistes. La plupart des études sur la question se sont appliquées, ces dernières années, à évaluer l’impact de la démocratisation sur le réel, voire d’en interroger la pertinence au regard des spécificités culturelles de l’Afrique. Samuel P. Huntington estime qu’il est impossible pour un gouvernement de rechercher, à la fois, le développement, la stabilité et d’être démocratique (S. Huntington : 1968). Denis Akagül estime, pour sa part, que le développement des libertés individuelles exacerbe les conflits de répartition des revenus et des richesses (D. Akagül : 2005 ; 5). L’impossibilité démocratique en Afrique subsaharienne s’explique alors autant par son caractère intrinsèquement conflictuel que par son statut profondément extra-africain. D’autres auteurs, par contre, restent convaincus des bénéfices de la démocratie. Peter Anyang’ Nyong’o considère que la situation de sous-développement de l’Afrique a partie liée avec « l’absence de toute responsabilité politique, et donc de démocratie » (P. Anyang’ : 1988 ; 589). Il rejoint, dans ce sens, Frantz Fanon et Addulrahman Mohammed Babu pour qui les systèmes de gouvernance caractérisés par l’absence de participation sont instables de par leur nature (F. Fanon : 1961 et Walter Rodney : 1972).

 Au-delà des querelles sur les vices et les vertus de la démocratie, l’observation de la scène et des usages politiques, en Afrique subsaharienne, permet de constater la systématisation du phénomène démocratique. Cela se caractérise par l’ouverture du marché politique à la concurrence, à travers notamment l’instauration du multipartisme, la consécration juridique des libertés civiques, et la routinisation des élections. L’adoption de pratiques relevant des dimensions procédurales et juridiques de la démocratie (N. Bobbio : 1984) a semblé constituer la preuve du caractère effectif et irréversible du processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. Pourtant, le « printemps démocratique » du début des années 1990, va se transformer en une longue marche pour les opposants et autres forces du changement. Depuis lors, on a assisté à l’émergence de « démocraties à adjectifs » (D. Collier et S. Levitsky : 1997 ; 430) qui, comme les sept plaies d’Egypte, resserrent leur étreinte fatale autour de la démocratie pour mieux l’achever. Il ne fait donc point de doute qu’il s’est agi, en Afrique, d’une « décompression autoritaire » (J.F Bayart : 1991) plutôt que d’une démocratisation véritable.

L’analyse du phénomène démocratique en Afrique doit donc nécessairement prendre en compte sa « tropicalisation ». La tendance à l’accommodation de la démocratie « aux pratiques politiques traditionnelles en Afrique » a entrainé la naissance de régimes politiques hybrides. S’ils se réclament de la démocratie dont ils ont adopté les usages, nombre de régimes politiques d’Afrique subsaharienne restent profondément attachés à des pratiques axées sur le contrôle et la restriction de la participation politique. L’institutionnalisation du gouvernement perpétuel, malgré la tenue régulière des élections, et le musellement des voix dissonantes interrogent sur la volonté des régimes au pouvoir d’aboutir à la « sportisation » du jeu politique gage de la civilisation des mœurs politiques (N. Elias et E. DUNNING : 1994). Le pluralisme politique comme élément de légitimation de la diversité (L. Graziano : 1996) perd sa consistance ontologique dans un contexte marqué par le triomphe de la pensée unique. Il devient une lanterne dont la lumière terne renseigne peu sur la démocratie dont il est pourtant un aspect essentiel.

Le renforcement de l’autoritarisme politique, en Afrique subsaharienne, a créé une véritable opposition entre démocratie et pluralisme politique. Si les deux phénomènes sont censés s’enrichir mutuellement, le développement de tendances centripètes et conservatrices, au sein de nombre de systèmes politiques africains, tend à les opposer. Il devient alors possible d’aboutir à des formes de gouvernement « démocratique » débarrassées des tendances déstabilisatrices du pluralisme politique. Celui-ci est volontairement réduit au seul multipartisme politique dont l’influence sur le jeu est inversement proportionnelle au nombre pléthorique de partis politiques. Autant il devient empiriquement possible d’observer des « démocraties sans partis », en Afrique, autant l’existence d’un pluralisme politique sans démocratie tend à se généraliser.

Si l’adoption d’un système de gouvernement est généralement influencée par la quête de stabilité (du pouvoir politique, des institutions politiques, etc.), il convient de s’interroger sur le bilan de la trajectoire démocratique des pays africains en matière de paix. Ainsi, la question centrale de ce numéro de Dialectique des Intelligences est de savoir dans quelle mesure la nature du système de gouvernement a contribué au maintien de la paix et de la stabilité en Afrique, au cours des trente dernières années ? Autrement dit, peut-on affirmer que l’adoption de pratiques politiques particulières a influencé la paix et la stabilité sur le continent ? Ces différents questionnements s’inscrivent dans la lignée des études sur les présupposés iréniques ou polémologiques des systèmes de gouvernement. Sans sombrer dans un déterminisme paresseux, la Revue se donne pour objectif d’évaluer empiriquement la contribution des modèles de gestion politique à la paix à l’intérieur et à l’extérieur des pays d’Afrique subsaharienne.

Le numéro 7 de la revue Dialectique des Intelligences souhaite favoriser l’expression d’une diversité d’opinions sur la question de la paix et de la stabilité en Afrique. Il se sert de la question des systèmes de gouvernement comme porte d’entrée vers une réflexion sur les moyens d’assurer la paix par le renforcement des institutions. Ce numéro sur le Pluralisme politique et la Démocratie en Afrique fait suite à celui sur la limitation des mandats présidentiels, modifications constitutionnelles et processus de démocratisation en Afrique subsaharienne (Dialectique des Intelligences, n°2, Second semestre 2016). Les auteurs sont appelés à saisir la thématique du numéro 7 de la Revue du point de vue de l’histoire des idées politiques en Afrique, mais aussi de la géopolitique, de la sociologie politique et du droit. L’originalité de la réflexion, la cohérence de la démonstration ainsi que l’attention portée au style seront déterminantes dans l’évaluation des propositions.